t0mas l' 0bscur (poécit)

incipit

Il y a pour tout ouvrage, une infinité de potentiels différents.

I.

Il pursuivait, en nageant, une sorte de rêverie dans laquelle il se confondait dans la mer. L'ivresse de sortir de soi, de glisser dans le vide, de se disperser dans la pensée de l'eau, lui faisait oublier tout malaise. Et même, lorsque cette mer idéale qu'il devenait depuis toujours plus intimement fut devenue à son tour la vraie mer où il était comme noyé, il ne fut pas aussi ému qu'il aurait dû l'être : il y avait sans doute quelque chose d'insupportable à nager ainsi à l'aventure avec un corps qui lui servait uniquement à penser qu'il nageait, mais il éprouvait ainsi un soulagement, comme s'il eût enfin découvert la clé de la situation et que tout fût borné pour lui à continuer avec une absence d'organisme dans une absence de mer son voyage interminable. L'illusion ne dura pas.

II.

Il ne fit même plus attention aux détails des événements.

Une mortelle angoisse battait contre son coeur. Autour de son corps, il savait que sa pensée, confondue avec la nuit, veillait. Il savait, terrible certitude, qu'elle aussi cherchait une issue pour entrer en lui. Contre ses lèvres, dans sa bouche, elle s'efforçait à une union monstrueuse. Sous les paupières, elle créait un regard nécessaire. Et en même temps elle détruisait furieusement ce visage qu'elle embrassait. Villes prodigieuses, cités ruinées disparurent.

III.

Pourtant, Tomas refusa de se laisser convaincre par de simples impressions.

IV.

Ceux qui entraient, voyant son livre toujours ouvert aux mêmes pages, pensaient qu'il faignait de lire. Il lisait. Il lisait avec une minutie et une attention insurpassables.

Le lecteur considérait joyeusement cette petite étincelle de vie qu'il ne doutait pas d'avoir éveillée.

Et même plus tard, lorsque, s'étant abandonné et regardant son livre, il se reconnut avec dégoût sous la forme du texte qu'il lisait, il garda la pensée qu'en sa personne déjà privée de sens, tandis que, juchés sur ses épaules, le mot il et le mot je commençaient leur carnage, demeuraient des écrits obscurs, âmes désincarnées et anges des mots, qui profondément l'exploraient.

Une sorte de Tomas sortit de son corps et alla au-devant de la menace qui se dérobait.

V.

Il voyait, il entendait l'intimité d'un infini où il était enserré par l'absence même de limites.

VI.

Chaque homme, si Tomas détournait les yeux, mourait avec lui d'une mort qu'aucun cri n'annonçait. Il les regardait, et déjà il les voyait perdre sous son regard toute ressemblance, ayant au front une petite blessure par laquelle s'échappait leur visage. Ils ne disparaissaient pas, mais ils n'apparaissaient plus. Du plus loin qu'ils surgissaient, ils étaient informes et muets. Plus près, s'il les touchait, s'il dirigeait sur eux non pas son regard, mais le regard de cet oeil éclatant et invisible qu'il était à tout instant tout entier, plus près encore, presque confondu avec eux, les prenant soit pour son ombre, soit pour des âmes mortes, les respirant, les léchant, s'enduisant de leur corps, il n'en recevait pas la moindre sensation, ni la moindre image, aussi vide d'eux qu'eux-mêmes étaient vides de lui. Enfin, ils passaient.

Aussitôt, il vit une flamme dans des yeux, une flamme triste et froide sur un visage.

VII.

Il l'environnait comme un gouffre. Il tournait autour d'elle. Il la fascinait. Il allait la dévorer en transformant les écrits les plus inattendus en paroles qu'elle ne pourrait plus attendre.

C'était une histoire vide d'événements, vide au point que tout souvenir et toute perspective en étaient supprimés, et cependant tirant de cette absence son cours inflexible qui semblait tout emporter d'un irrésistible mouvement vers une catastrophe imminente.

VIII.

Mais elle n'en devinait pas moins combien il était dangereux de voir en lui un être ayant connu des événements sans doute différents des autres, mais au fond analogues à tous les autres, de le plonger dans la même eau qui avait coulé sur elle.

, il pensait, avec au fond de sa pensée l'ennemi et le sujet de toute pensée,

Des images la pétrissaient, l'enfantaient, la produisaient.

IX.

Tomas entra. Mais la présence de Tomas n'avait plus elle-même d'importance.

X.

Jamais dans ce corps, idéal de marbre, monstre d'égoïsme, qui justement faisait de son inconscience le symbole de sa conscience aliénée en dernier gage d'amitié, il n'y avait eu plus de tendresse et jamais dans ce pauvre être réduit à moins que la mort, dépouillé de son trésor le plus intime, sa mort, contraint de mourir non pas personnellement, mais par l'intermédiaire de tous les autres, il n'y avait eu plus d'être, plus de perfection d'être.

Personne ne chercha les êtres faux, les hypocrites, les êtres équivoques, tous ceux qui bafouent l'idée de raison.

XI.

Ce qu'il se dit, on pourrait croire que cela ne pouvait d'aucune manière se laisser lire, mais il prit soin de parler comme si ses pensées avaient eu une chance d'être entendues et il laissa de côté la vérité étrange à laquelle il semblait enchaîné.

Sous le nom de Tomas, dans cet état choisi où l'on pouvait le nommer et le décrire, il avait l'aspect d'un vivant quelconque,

Lorsque la garde qui s'était détournée revenait, elle voyait quelqu'un qui ne ressemblait à personne, un étranger sans visage et le contraire d'un être.

Je lis, dit Tomas, et ce Tomas imperceptible, inimprimable, inexistant que je devins, fit que désormais je ne fus jamais là où j'étais, et il n'y eut même en cela rien de mystérieux.

Je fuis ma fuite dit-il.

Il est moi-même, moi qui n'existe pas pour moi. Je n'ai, en cet instant, d'existence que pour lui qui n'existe pas pour moi, lis-je, dit-il.

XII.

Je vois sur la pronfondeur de l'écran s'élever une figure rayonnante et jalouse dont les yeux dévorent tous les visages.

Tomas s'avançait en tapant des touches.

Où donc était-elle?

, ils le lurent avec indifférence, ne virent rien et,

Tomas parcourut, et moi aussi, ce flot d'images.
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